ARTS VISUELS/ PLASTIQUES

J.VASCONCELOS (Analyse d'oeuvre : "Lilicoptère'')

Publié le vendredi 27 mars 2015 10:01 - Mis à jour le vendredi 27 mars 2015 10:04












« Lilicoptère »


1/ Présentation de l'oeuvre :
- Nom de l'artiste : Joana Vasconcelos
- Nationalité de l'artiste : Portugaise
- Titre de l'oeuvre: « Lilicoptère »
- Dimensions de l'oeuvre : 274 x 300 x 1265 cm
- Lieu d'exposition : Salle 1830 au Château de Versailles à Paris
- Date de l'oeuvre: 2012
- Date de l'exposition : De juin à septembre 2012
- Type d'oeuvre : Installation in situ
- Matériaux : Hélicoptère « Bell 47 », plumes d'autruche teintes à la main dans différentes nuances de rose, cristaux
de Svarovski, feuilles d'or, Peinture industrielle, intérieur : cuir teint et finement ciselé à l'or fin, tapis de Arraidos,
bois de noyer, passementerie.
2/ Analyse descriptive :
Le lieu : Oeuvre créée pour être présentée dans la salle « 1830 » (1830 : Date où Versailles devient musée).
L'oeuvre : Hélicoptère recouvert de feuilles d'or et orné de brillants dont l'extérieur de la cabine est
habillé de plumes d'autruche de teintes saumon, rose et orangé. Une petite ouverture devant la
cabine, comme une bouche, que les plumes n'ont pas envahi, laisse entrevoir un intérieur en bois
sculpté, des dorures et des cuirs ciselés.
Ce modèle d'hélicoptère, un « Bell 47 » du designer Arthur Middleton Young (ingénieur,
mathématicien, philosophe et peintre), construit à partir de 1945 fait partie de la collection
permanente du M.o.M.A (Museum of Modern art) de New-York (dans la section design).
Joana Vasconcelos allie l'objet industriel (hélicoptère) et l'artisanat (tapis portugais brodé dans la
pure tradition artisanale, bois sculpté, maroquinerie, capitonnage, habillement de l'hélicoptère) avec
la préciosité du luxe ce qui crée un décalage étonnant et donc de l'humour pour en réaliser une
oeuvre artistique.
La grâce, l'élégance surprenante et le détail du délicat coïncident avec le luxe, au rafnement le plus
1
précieux proposant un exemple de féminité excessive grâce à la fabrication des accessoires en plume
d'autruche et l'utilisation de la passementerie telle une ode aux conquêtes de la femme dans les
domaines public comme privé. Lilicoptère s'inspire de l'esthétique royale de la fin de l'Ancien Régime,
riche, glamour et rafnée.
3/ Analyse sémantique :
Le titre : «Lilicoptère » fait peut-être référence à Lili Marleen, une chanson d'amour allemande
subversive de résistance, car transcendant les clivages, interdite dans plusieurs pays totalitaires après
avoir été récupérée par les nazis comme chant militaire. Lili est aussi un prénom empreint d'une
grande féminité. Enfin, on peut supposer que J.V a fait un jeu de mots, de sons pour raccrocher au
mot « hélicoptère » en lui accolant ce prénom chantant.
Joana Vasconcelos en utilisant un moyen de transport moderne de personne riche lie la réalité au
mythe. Il est question ici de montrer l'illusion de l'apparence, du mythe, du rêve que procure le luxe.
J.V fait un raccourci historique et montre l'opposition entre mythe et réalité encore une fois en se
disant que si Marie-Antoinette vivait à notre époque, elle posséderait certainement ce moyen de
transport maniable, véloce, discret et facile à garer mais qu'elle le personnaliserait avec des plumes
d'autruche afin qu'il s'accorde à sa tenue vestimentaire à la mode.
Le thème de la féminité : Il y a encore peu d'années, les espaces de la femme portugaise se limitaient
à la maison, elles étaient dédiées à grandir, se marier et se multiplier, et passaient leur vie à nettoyer
et décorer leur « prison ». Elles s'évadaient de leurs travaux domestiques et de leurs tâches ménagères
grâce à leur créativité fonctionnelle d'une infinie délicatesse (artisanat : crochet, couture de vêtement,
arrangement de leur intérieur, broderie, tissage...).
Joana Vasconcelos propose une relecture de ce transport, un objet industriel en le transformant,
l'affublant de beaux atours féminins (arts plastiques).
Finalement, chaque objet, bien qu'il soit familier et apparemment inoffensif, contient en lui une
puissance créative, révélant son secret. J.V montre ce qu'il cache. Désormais, on ne verra plus un
hélicoptère de la même manière. C'est avec dérision que cet étrange hélicoptère féminin, machine à
transcender les limites. En effet, si la machine garde sa fonction principale de voler, elle ne renonce
pas pour autant à exhiber sa beauté et son pouvoir jusqu'à l'excès, jusqu'à l'exubérance. Car cet
hélicoptère, moyen de transport par les airs, est une machine-animal autant rafnée qu'absurde. Tout
est conçu pour l'effet féminin d'une tenue de soirée. Un être presque vivant qui entre dans Versailles
tel un super-héros .
Marie-Antoinette était enfermée à Versailles, qui a été sa prison dorée et à laquelle elle a tenté
d'échapper en créant un univers qu'elle aimait. Elle a essayé de fuir la réalité dont elle été prisonnière
et sa vie a semblé être une tentative d'évasion permanente. Avec le luxe (si bien décrit dans le film
« Marie-Antoinette » de Sophia Coppola) dans les vêtements, les accessoires, la gastronomie et les
fêtes, elle comblait le vide de son existence. Devenue impopulaire du fait de ses dépenses, elle était
aussi l'instigatrice et l'objet de trahison et de complot, elle a infuencé Louis XVI dans sa politique
réticente à tout changement.
Dans Lilicoptère, il y a l'idée de la possibilité de la fuite bien que l'objet reste au sol.
2
L'objet industriel personnifié :
Quelle drôle de machine ! Elle garde à la fois sa fonction de voler mais le côté industriel, uniformisé
est caché, détourné pour lui faire obtenir l'apparence d'un animal, d'un oiseau d'apparat, avec ses
grandes plumes colorées dont l'oiseau se pare dans un jeu de parade amoureuse pour séduire. Il
suggére la métamorphose de l'animal-machine ; le retour aux origines et à l'inspiration qui a
concrétisé le rêve humain de voler. D'ailleurs, en 1783, le roi assiste à Versailles aux premières expériences
aéronautiques : le 14 septembre, Etienne de Montgolfier lance au-dessus du château un ballon gonfé d’hydrogène
dont la nacelle contient des animaux. Le 21 novembre, Pilâtre de Rozier s’élance de Versailles et accomplit son
premier voyage aérien qui dure 25 minutes.
A l'avant de la cabine de l'appareil se trouve une ouverture circulaire ; oeil qui sert à entrevoir un
intérieur somptueux de bois sculpté, de dorures et de tapis brodés : microcosme anachronique,
machine à remonter le temps transportant la reine jusqu'à la contemporanéité.
En utilisant une nouvelle perspective artistique et critique, elle tourne en dérision le rôle qui est
traditionnellement attribué à la femme surtout la femme portugaise qui était destinée à rendre
impeccable son intérieur mais qui ne pouvait en sortir. Elle rend la femme libre. Ici, c'est l'intérieur
de l'hélicoptère, le savoir-faire féminin qui est mis sur le devant de la scène et qui s'apprête à
s'échapper, à voler de ses propres ailes. J.V fait appel à des matériaux de l'univers de l'industrie qu'elle
féminise. Et l'industrie est l'espace ambitieux de l'homme, c'est la propension à l'illimité. Or, Joana
Vasconcelos par son art libre et son humour veut devenir un individu, pas seulement une femme,
mais un individu avec les mêmes droits de rêve et d'industrie que ceux dont les hommes ont toujours
pu disposer.
Versailles et le luxe : Louis XIII en 1624 fut séduit par la colline et ses forêts giboyeuses en y faisant construire
un pavillon de chasse. Situé à 14 km au sud-ouest de Paris, Versailles est une cité royale à partir de 1662 dont le
château, modèle de l'art classique, fut construit par Le Vau, D'Orbay, Mansart et fut décoré sous la direction de
Charles le Brun par la volonté de Louis XIV. Ses jardins et ses plans d'eau dessinés par Le Nôtre sont immenses.
Louis XV puis Louis XVI (Guillotiné ainsi que son épouse Marie-Antoinette) y résideront. Versailles est le centre
du pouvoir qui a son époque le plus famboyante traversait une très forte crise des valeurs, crise politique liée à la
folie économique : dans le château et à la cour, l'argent était dépensé à outrance quand à l'extérieur le peuple
dépérissait.
Le luxe c'est la fin de l'imagination, le début de l'annihilation qui consiste à adopter le même comportement, à
porter les mêmes chaussures et arborer les mêmes accessoires.
Versailles symbolise, incarne le luxe et le pouvoir, les conventions, les codes de l'apparence donc exposer des
casseroles est transgressif au regard des origines portugaises qui viennent dialoguer avec le mythe français.
Le classicisme de Versailles dans son architecture réelle s'oppose avec le côté exubérant des idées, excessif des
bâtiments et de l'argent investi que l'on pourrait qualifier de baroque. Baroque dans ce qu'il révèle de désir, de
fantasmatique de montrer le pouvoir absolu, symbolique. (L. Marin).
Curieux raccourci de l'Histoire si l'on se remémore que le terme « baroque » vient du portugais « barroco » qui
désignait une perle irrégulière.
Versailles est un lieu mythifié par la culture universelle, c'est le palais parfait avec ses jardins parfaits qui prouve
qu'autrefois on y a cherché une vie parfaite qui incarnaient un pouvoir absolu. La perfection est une utopie de l'être
humain. La démesure aboutit au rêve mais aussi au cauchemar.
3
Conclusion :
Joana Vasconcelos utilise tous les codes du design, de la mode, du luxe et déguise les matériaux
industriels qu'elle mélange à l'artisanat. Son travail se nourrit de culture populaire, de matière
modeste (tapis portugais) qu'elle associe au matériaux de luxe (feuilles d'or, plumes d'autruche...).
Jeu d'ironie d'utiliser un objet industriel contemporain paré de luxe et d'artisanat populaire pour
montrer une oeuvre qui met en scène la quintessence esthétique de Versailles, déconcertant et
fantastique.
Le travail de J.V se construit à travers un principe collaboratif, à l'atelier, où les oeuvres sont créées
grâce à la multiplication des talents et des savoir-faire, où la division des tâches renforce l'éventail des
gestes et donc des possibles : « Je pense mon travail comme manufacture de la poésie car l'art est justement
un matériel sans objectif ». Le rôle de l'artiste s'approche de celui de chef d'entreprise veillant à la
production effective des oeuvres. L'image de l'artiste solitaire, seul dans son atelier, datant du XIXème
siècle n'a jamais existé dans la réalité. J.V s'entoure de femmes et d'hommes dont les compétences
sont diverses et complémentaires, mettant à profit tous les savoir-faire, faisant dialoguer les gestes,
créant par cette rencontre des objets poétiques.
Joana Vasconcelos est la première femme artiste à exposer à Versailles. Elle nous rappelle l'Histoire,
le passé de Versailles, concevant son exposition non pas comme une décoration de l'espace mais
comme une appropriation contemporaine d'un lieu mythique, historique.
Elle subvertit, détourne les matériaux traditionnels et industriels au service de la création artistique.
C'est aussi la première femme à contaminer un tel palais par son cri d'identité libre. Aucune
soumission, aucun féminisme facile non plus, seulement la mémoire, l'avant-garde et la sensibilité.
Joana Vasconcelos dit : « La seule chose qui ne peut être copiée est la culture. L'art est universel, il ne connaît
pas la barrière du langage, on ne peut copier l'idée. »
Bibliographie :
Joana Vasconcelos habite au Portugal où elle a installé son immense atelier dans un dock sur les quais de Lisbonne.
Elle a le goût pour les arts décoratifs : formation à l'école Ar.Co de Lisbonne avec orientation bijouterie. Né en 1971
à Paris, elle arrive au Portugal en 1974 après la Révolution, la chute de 50 ans de dictature.
Définitions :
I nstallation : Oeuvre dont les éléments sont conçus et/ou organisés dans un espace donné.
In situ : Qui veut dire "Sur place". Oeuvre exécutée en fonction du lieu où elle est montrée, pour y jouer un rôle
actif, jouant souvent avec l'espace.
Tridimensionnel : Objet, volume qui peut se voir de tous les côtés (hauteur, largeur, longueur).
Subversion : Action visant à renverser, à bouleverser, à déstabiliser ou à contester l'ordre établi, ses lois et ses
principes.
Transgression : Action d'enfreindre, désobéir, de passer outre le règlement, refuser l'ordre établi, ses lois, ses
principes..
L'hélicoptère « Bell 47 » : La bulle (cabine transparente) prête également une apparence insectoïde à l'artisanat en
vol stationnaire, ce qui a généré son surnom, le "bug-eyed hélicoptère." Il semble opportun, alors que l'une des
principales utilisations de la Cloche-47D1 a été pour la lutte anti-parasitaire dans les cultures poudrage et de
pulvérisation. Il a également été utilisé pour la surveillance du trafic et de la distribution du courrier et du fret dans
les régions éloignées. Pendant la guerre de Corée, il a servi comme une ambulance aérienne.(Références : Skira Flammarion, site internet du Château de Versailles)