ARTS VISUELS/ PLASTIQUES

CINDY SHERMAN

Publié le jeudi 5 décembre 2013 16:01 - Mis à jour le vendredi 6 décembre 2013 11:05

 

 

 CINDY SHERMAN


Ses oeuvres les plus connues sont ces photographies où elle se met en scène.

Son oeuvre s'inscrit dans l'anamnèse : au sens originel du terme, le rétablissement de la mémoire. Chez Cindy Sherman, l'anamnèse ne consiste  pas seulement à retrouver la mémoire mais à se placer dans un processus mental volontaire d'une reconstruction.

Ce qu'il y a de caractéristique dans l'oeuvre de Sherman, c'est que ses grimages vont devenir de plus en plus complexes au point de surajouter à son propre corps, à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, des morceaux de corps artificiel. Leur propos n'est pas tant de masquer le corps que d'énoncer sa finitude. D'énoncer ce corps dans sa représentation, comme obstacle à ce travail généalogique vers le chaos, du fait qu'il se situe nécessairement comme limite dans l'espace et dans le temps. Les artifices, chez Sherman, désorganisent le corps au point que dans ses photographies de 1992, ils prennent lieu et place du corps comme autant de dépouilles qui inscrivent ce corps comme limite physique à l'expression du chaos. 

Sur aucune de ces photographies, Cindy Sherman n'a le même visage. Ce n'est pas nécessairement parce que le visage a été transformé par des artifices pour la photographie, c'est essentiellement parce que chaque personnage est autre au point que chaque visage est singulier. De plus, chaque photographie est nommée "Untitled", suivi d'un dièse et d'un numéro. Rien ne permet donc, au vu de ces photographies ni par leur titre,de déterminer qu'il s'agit d'autoportraits. Certes, en regardant attentivement chaque photographie, on peut retrouver sur les visages des éléments qui m'ont fait reconnaître ses traits.

Dès lors se pose la question suivante : s'agit-il d'autoportraits ? Dominique Baqué apporte une réponse à cette question lorsqu'elle dit : « ... ce ne sont jamais des autoportraits qu'exécute Cindy Sherman, même si elle est physiquement présente sur chaque photographie. S'il n'y a pas autoportrait, c'est précisément parce qu'il n'y a plus de sujet pour élaborer un discours et se confirmer comme sujet. Du "sujet Sherman", l'on ne sait rien, et il n'y a peut-être rien d'autre à savoir que ces représentations [...]. Ce n'est donc pas le moi que cherche à cerner le travail de Cindy Sherman, un moi dont il conviendrait de connaître l'absolue singularité, la substantielle consistance derrière l'accident des situations, le fatras des poses et des grimages. Bien au contraire : ce qui s'énonce chez Cindy Sherman, c'est qu'il n'y a pas de "moi", tout au plus des fictions du moi.

Point d'identité personnelle non plus, mais une sorte d'identité collective dans laquelle chacun puiserait comme dans un réservoir de personnalités finies, de gestes, d'attitudes, d'affects.  » Mais si le travail de Cindy Sherman ne parle pas du moi, c'est qu'il va au-delà du moi, c'est qu'il remonte à un stade d'avant le moi. Cette dissémination de son image, ces dissolutions du moi qu'elle énonce, sont de l'ordre du chaos.

Le Larousse définit le chaos de la manière suivante : « Confusion générale des éléments de la matière avant la création du monde.  » Il ne peut y avoir introspection chez Cindy Sherman puisque si elle regarde à l'intérieur d'elle-même, c'est vers ce point où à la fois elle n'est plus elle-même et pas encore elle-même. C'est là, me semble-t-il, la raison fondamentale de cette dissémination. Le corps mis en image, chez Cindy Sherman, est une tentative pour s'éprouver au chaos.  Ces visages ne sont pas agencés comme des visages ordinaires. Il y règne une confusion effroyable. Les éléments qui permettent d'identifier un visage (nez, bouche, yeux) sont à peu près à leur place les uns par rapport aux autres. C'est à peu près tout ce qui peut évoquer la présence d'un visage dans ces photographies. Ce qui est donné à voir ici, ce n'est pas le visage, mais un au-delà, ou un en-deçà, du visage.